mardi 27 février 2018

Chronique : Turnstile - Time & Space

Sûrement dans le même élan d’euphorie dans lequel nous plongent les punks de Baltimore à chaque écoute, certain-e-s voyaient carrément Turnstile comme le groupe d’une génération, à la sortie de Nonstop Feeling, reprenant avec talent les codes de tout ce qui faisait le succès d’un groupe de fusion et de hardcore dans les 90’s, au moment précis où c’est une époque qui revient en force dans la musique alternative en générale, tout en ajoutant une touche de modernité et en puisant dans le background beatdown des membres du groupes, qui pour certains officient dans
Trapped Under Ice. Mais au-delà des superlatifs quelque peu abusifs, Turnstile c’est en réalité, surtout et simplement, un groupe qui (sur)vit dans son temps pour mieux le combattre, du fun et beaucoup de bonnes vibes dans un esprit aussi léger que sérieux. Et leur nouvel album, Time & Space, va plus loin encore que son prédécesseur, justement dans cette balance entre léger et sérieux.

On sait d’emblée à qui on a affaire en lançant le disque et en tombant sur "Real Thing" : le groove du groupe reste intact, autant que son esprit fun et spontané, mais dans l’ensemble, le ton devient un peu plus grave, les rythmes prennent plus de nonchalance, prennent plus de longueur. On reconnaît pas mal les idées de Snapcase, un groupe de hardcore culte des années 90, chez qui Brendan Yates puise peut-être des inspirations vocales depuis le début, mais sans les cassures Helmet-esques : on reste dans quelque chose de parfois bas du front certes, mais toujours très catchy et dansant. Mais sur ce nouvel LP, Turnstile développe un peu plus les moods plus sombres, les met plus en valeur via ce regain de tension qui enveloppe une bonne partie du disque, mais sans jamais revenir en arrière et laissant ainsi aux EP leur unicité dans la discographie du groupe.

Fort heureusement, la formation ne délaisse en aucun cas ses penchants musicaux les plus pop ou les plus grunge, on retrouve ces instants de guitares sucrées, nourries au flanger, et ces envolées vocales digne d’un groupe d’alt-rock des 90’s dès "Big Smile", sur l’énorme "I Don’t Wanna Be Blind", ou entre autres "Moon" (aka le "Blue By You 2.0" du premier opus), où la place est laissée au micro au bassiste Franz Lyons, et même à Tina Sheer Mag aux backing vocals. On retrouve d’improbables notes de piano sur "High Pressure", dont l’outro sera un déclencheur de mosh assuré. 

On a affaire également sur ce disque des purs moments breakdance et 2-step comme Turnstile en a la spécialité, comme "Generator" qui plaira aux fans du titre "Bad Wave" (où l’on entend Yates hurler à pleins poumons, un cri écorché qui trahit un peu plus de potentielles influences post-hardcore), ou l'excellente "Come Back For More" sortie sur l’EP de 2016 Move Thru Me, retravaillée pour l’occasion et ponctuée de… cowbells. Bon, le bon goût est discutable, mais au moins on se marre ! Et ça ne gâche pas l’écoute du morceau. "(Lost Another) Piece Of My World" fait partie des titres les plus frontaux de ce disque, une grosse tartine hardcore ponctuée de quelques phrases à chanter en chœur avant que le breakdown de fin, un de plus, ne vienne nous assommer, ça sonne comme "Bring It Back" mais plus vénère encore. 

Il est intéressant de noter qu’alors que certain-e-s avaient peur qu’ils ne deviennent qu’une version alternative de ANGEL DU$T, Time & Space permet à Turnstile de marquer son territoire, comme A.D l’a fait sur Rock The Fuck On Forever. Il affirme sa personnalité, ne devenant toujours pas un groupe iconique d’une génération (car vous imaginez bien le boulot que doit faire un groupe, qui plus est de punk/hardcore, pour avoir une influence forte sur le monde entier, pour que ces mots soient réels !), mais en consolidant sa place parmi les plus intéressants et universels de leur scène et cela dans le sens où il réunit un très large spectre de la scène punk/hardcore, et pas seulement les personnes avides de mosh et de masculinité. Car il est vrai que le groupe de Baltimore incarne, au-delà des thèmes assez communs et des morceaux taillés pour le sing-along, une certaine vision d’ouverture et d'inclusivité, d’une scène hardcore plutôt safe, plus qu’une partie encore trop large du hardcore en général.


Time & Space est remarquable dans son rapport consistance / durée. Il est bien plus riche que Nonstop Feeling, mais il dure 25 minutes, durée idéale d’un disque de hardcore, soit moins long que son prédécesseur ! C’est notamment en cela que ce nouveau LP est une réussite, et meilleur qu’un disque qui plaçait la barre haute, mais qui manquait peut-être de maturité en termes strictement musicaux, c’était une grosse dose de plaisir mais c’était trop facile d’écoute, c’était du hit constant. Time & Space ose un peu plus, en gardant la ligne conductrice du premier jet, et alors qu’il risque de dérouter certain-e-s fans, il est fort à parier qu’ils/elles ne soient pas beaucoup et que la majorité soit surprise. Will Yip, aux commandes de ce disque, a sûrement beaucoup à voir dans ce succès, dans cette émancipation plus marquée encore des kids de B-more, lui qui est à l’origine de tant de disques excellents ces dernières années (Code Orange, Title Fight, Turnover, Quicksand…). C’est définitivement un grower, qui se révèle et explose dans nos têtes et nos systèmes audios divers (on osera un ghettoblaster pour être true) au fur et à mesure des écoutes. Définitivement, les feels ne s’arrêtent pas au travers de cet album, il nous tarde de découvrir ces morceaux en live, de danser dessus, mais cette fois-ci, il y a plus de texte à apprendre. Il va falloir être assidu-e !

4/5

Guillaume D.



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