jeudi 15 février 2018

Chronique : Pianos Become The Teeth - Wait For Love

À l’annonce de la sortie d’un nouvel album de Pianos Become The Teeth en fin d’année 2017, l’impatience autant que la curiosité furent de mise. Après le déroutant Keep You, on pouvait en effet se demander où est-ce que la formation américaine pourrait encore nous emmener. Beaucoup souhaitaient la voir revenir à leur époque screamo, aux déchirantes et extraordinaires complaintes endeuillées de The Lack Long After, aux escapades post-rock hurlées de Old Pride… Quand d’autres se sont fortement attaché-e-s à leur nouveau style bien moins
agressif et plus délicat. Mais une fois de plus, le groupe a décidé de surprendre sur Wait For Love, y compris celles / ceux qui s’attendaient à un style similaire au dernier album paru il y a déjà quatre ans.

Déjà, analysons les faits : rendez vous à l’évidence, Pianos Become The Teeth n’est plus un groupe de skramz, la cover de ce nouveau disque évoque évidemment les standards du R’n’B early 2000s, et non, c’est ni devenu U2, ni devenu Coldplay comme aiment le prétendre les mauvaises langues. Il faut savoir, ou se rappeler, que Kyle Durfey (chant) raconte des faits très personnels avec ses paroles, et que d’hurler le deuil et le manque de son père, entre autres, furent pour lui un exercice aussi cathartique que difficile. Il faut se dire que c’était peut-être trop pour lui, de faire le même exercice des années durant, et qu’il avait besoin d’extérioriser ses histoires et frustrations différemment pour que son art ne devienne pas un poison.

Dans les faits, on retrouve ce qui faisait la force (ou l’ennui, c’est selon) du précédent LP : une douceur et une fragilité chacun omniprésents au travers d’un univers musical au croisement du post-rock et de la folk, avec la même poigne émotionnelle qui les a toujours caractérisé. Mais Kyle ne crie plus, et cette fois-ci ne fait même plus trembler sa voix, la laissant couler aussi délicatement que les atmosphères des morceaux du nouveau disque. Wait For Love semble être ce fameux qautrième album, ce « meilleur de tous » que chaque groupe est censé composer, selon la légende. Celui de la sérénité, de la maturité. Alors que "Bitter Red" et "Charisma" laissaient entrevoir une facette encore plus accessible du groupe, ces deux singles laissaient également entrevoir un retour à quelque chose de plus dense. Un je-ne-sais-quoi de Moving Mountains dans ces compositions aussi easy-listening que profondément touchantes et mélodiques. Ce qui fût de très bon augure pour le reste du disque. Keep You pouvait en effet sonner un peu creux, par moments, manquant de cette densité dont le nouvel album fait constamment preuve.

En fait, en y réfléchissant, Wait For Love aurait pu être le disque de transition entre les deux précédents LPs… Mais alors, est-ce que le groupe de Baltimore aurait eu la paix intérieure et la retenue nécessaire pour composer "Bay Of Dreams", ce titre très ambiant et vaporeux qui fait fortement penser à ce que Foxing a pu proposer sur Dealer ? Wait For Love est loin d’être un disque accessible, en réalité. Il demande beaucoup d’attention, c’est un disque qui s’écoute plusieurs fois avant que l’on parvienne à s’imprégner de son essence, un disque qui se savoure, ce n’est pas un album « pour le kiff ». La construction des morceaux semble réellement être la même que ce que proposent des groupes comme This Will Destroy You, plus complexe qu’il n’en a l’air : un gros travail sur les textures sonores, les ambiances… 

On retrouve ici et là des éléments hypnotisants, bourdonnants, qui auraient pu avoir leur place sur Another Language. Mais avec des titres comme "Dry Spells" ou "Forever Sound", on retrouve les influences folk du précédent disque, même si définitivement, le ton est plus sombre et pesant, que ce soit dans les instants les plus mélodiques comme les plus expérimentaux. Preuve en est également "Manila", qui rappelle étrangement Devil Sold His Soul période Empire Of Light dans ces élans aussi atmosphériques que lourds et massifs ou même Idlewild et Anberlin dans le chant. Sur le titre final, "Blue", on se retrouve même face à ce que Balance & Composure savait si bien faire à l’époque de Separation, à savoir un alt-rock gracieux, éthéré, en double voix… Et petit plus non négligeable sur ce disque, David Haik s’exprime un peu plus, lui et sa frappe phénoménale : il fait preuve d’une remarquable retenue autant que d’un groove impeccable selon les morceaux. Avis aux nostalgiques, encore une fois : les blast beats, il les place désormais chez United Nations.

Pianos Become The Teeth, définitivement, est un groupe déroutant, et se renouvelle à chaque sortie. Wait For Love semble être leur point culminant, et sonne comme un résultat de leurs expérimentations menées sur Keep You, là où personne ne les attendait il y a cinq ans. Ni mainstream, ni screamo, ni vraiment classable en général, ils continuent de suivre leur voie, d’explorer de nouveaux horizons, de proposer à chaque fois une nouvelle façon d’apprécier la fragilité qu’ils aiment dévoiler et partager depuis plus de 10 ans désormais. Ce disque leur correspond totalement, et c’est une réussite qui à n’en point douter, divisera encore plus leur public. Allez, au prochain disque on veut des morceaux influencés par Drake comme le laisse suggérer l’artwork de ce nouvel opus !

4/5

Guillaume D.




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